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They don't renounce loving. The life doesn't finish tomorrow. I will stop waiting for you and you will come so suddenly.*
“
Дорогая мама,” les mots se bousculaient dans ma tête et pourtant, aucun ne semblait trouver le ton juste que je désirais apporter à cette lettre. Frustrée, je barrais l’entête et jetait l’énième bout de papier à la poubelle. Un soupir s’échappa de mes lèvres, mes épaules s’affaissèrent d’un coup, comme par dépit. Je décidais alors de me lever, de dégourdir mes jambes trop longtemps à l’arrêt. J'attrapais mon paquet de cigarettes et alla me poster sur le balcon de mon appartement. La première bouffée de nicotine me fit du bien et je restais quelques secondes, le regard dans le vide, à fumer. Un sourire fendit mon visage, alors que je songeais à l’ironie de la situation, tant actuelle et que celle que j’essayais vainement de dépeindre à mama. Premièrement, j’étais la première à dire à mes patients de ne pas fumer, que cela ne faisait qu’endommager les poumons et que ça pouvait réduire considérablement l’espérance de vie -je vous avais dit que c’était ironique, pas vrai. Même si j’essayais à chaque fois de fumer loin des regards, -question image, c’est pas top-, d’autant plus que j’avais régulièrement affaire à des militaires qui avaient vu bien pire que les ravages causés par la nicotine. Autant dire que mes recommandations apportaient son lot d’haussement de sourcils et de sourires narquois. Deuxièmement, et c’était le coeur du problème, je ne savais pas comment aborder un certain sujet avec ma très chère mama. C’était bien la première fois que cela m’arrivait ! Voyez, nous sommes très fusionnelles, toutes les deux. Cela fait deux ans que j’ai quitté
New Orleans pour venir ici, offrir mes services de médecin, à
Fort Bliss, au Texas. Je n’ai jamais regretté mon choix, surtout après le décès de papa. Au contraire, cet événement fort et marquant fut, en quelque sorte, le déclencheur. Mon déclencheur. Malgré la distance, une sorte d’habitude peu usuelle avait pris naissance entre nous : nous nous échangions des lettres aussi régulièrement que possible. Oh bien sûr, on s’appelait aussi, on se “
skypait” comme on dit, mais nous prenions chacune le temps de s’installer à une chaise et d’écrire ce que l’on ressentait et que l’on n’osait pas dire en face d’une caméra ou au téléphone. Écrasant mon mégot, je le laissais dans le cendrier et rentrait à nouveau dans l’appartement, rafraîchis par le ventilateur. J’avais envie de lui parler de cette personne qui venait d’entrer dans ma vie tel un tourbillon, emportant tout sur son passage. J’avais envie de lui confier mon attirance, mes craintes face aux démons de son passé pas si lointain, mon excitation -refrénée en sa présence- lorsque je savais que j’allais le croiser sur la base. J’avais envie d’aborder tous ces points avec elle et bien plus encore. Pourtant, je n’arrivais pas à m’y mettre. Je savais qu’elle ne tenait pas les militaires dans son coeur, et par là, j’entends tous les militaires, sans exceptions. Après tout, des années de mariage avec un marine -mon père, en l'occurrence- l’avait profondément aigrie. Malgré son amour profond et sincère, ses absences répétées lors des missions l’avaient laissée terriblement seule au début, avant même ma naissance. Elle m’avait souvent fait part de ses réflexions qui commençaient toujours avec la même rengaine : “
Bien que j’aime ton père de tout mon coeur, ne te marie jamais avec un militaire… C’est la solitude assurée, sans compter qu’ils reviennent bien souvent torturés de ces missions, de ces guerres qui n’en finissent plus…” Je me souvenais avec une extrême précision que petite, quand mon père revenait de ses “
missions”, il était fort taciturne et renfermé. Lui qui pouvait rire très franchement gardait les lèvres pincées et quand il souriait, son sourire n’atteignait plus ses yeux comme avant. Oui, il y avait toujours un moment d’adaptation, comme si il ne croyait pas être de retour pour de bon. Puis, il repartait et le scénario se répétait à nouveau… jusqu’au jour où il ne revint plus, tué par une bombe anti personnelle, trois ans plus tôt. Ils étaient des héros, du moins, c’est ainsi que tout citoyen américain les définissaient. Pourtant, malgré ses bons côtés, mon père était particulièrement porté sur la boisson. “
Cela l’aide à oublier,” me murmurait ma mère d’un ton triste et compatissant le soir quand elle venait me border. Plus tard, j’appris que la boisson pouvait le changer radicalement, au point que ma mère subissait des accès de colère peu réfrénés. De cela, elle ne m’en toucha jamais un mot. “
Tu comprendras, un jour,” me disait-elle. “
Il y a des choses qu’une femme est prête à faire pour son mari. Tu verras.” J’étais pourtant convaincue aujourd’hui de ne jamais me laisser faire par un homme guidé par ses pulsions violentes. Le doute m’étreignait, cependant. J’avais déjà vu Thomas s’emporter au bar parce qu’un des ivrognes l’avait lourdement cherché. Il l’avait complètement amoché, au point que je m’étais retrouvée à faire des points de suture dans l’arrière salle de l’établissement. Je n’étais pourtant pas avec lui ce soir-là, occupée à fêter l’anniversaire d’une de mes amies. Quand j’étais apparue au pieds du blessé, il avait blêmit et s’était aussitôt esquivé sans un mot. Je ne l’avais toujours pas revu depuis, pourtant, malgré cette facette sombre de l’homme, malgré mon trouble évident et mes pensées chaotiques, je ne pouvais le réaliser. Il avait été si tendre avec moi, si attentif. Je ne parvenais pas à associer ces deux images dans ma tête : Tommy le gentleman et Thomas l’animal. Cela ne faisait pas deux plus deux, cela n’avait tout simplement pas de sens. Pourtant, quand il avait débarqué dans mon cabinet, il y a un mois, ses yeux -plus que tout le reste de son anatomie- m’avaient profondément chamboulée. La douleur, omniprésente, criait de tout son soûl dans ses yeux chocolats, au point de me chambouler totalement. D’entrée de jeu, il m’annonça de but en blanc qu’il n’avait aucune intention de relater ce qui s’était déroulé là-bas, dans cet enfer, qu’était la guerre. Il ne se considérait pas comme un héros et fronçait régulièrement les sourcils quand on le qualifiait comme tel. Il était certainement l’homme le plus touchant et le plus étrange qu’il m’est été donné de rencontrer à ce jour. Une fois son monologue terminé, il avait conclu, le plus simplement du monde, par un : “
M’autorisez-vous à vous inviter au restaurant? Une beauté telle que vous ne peut pas passer un vendredi soir à l’hôpital…” J’avais alors haussé les sourcils à mon tour, amusée par ce revirement total de la situation. “
Un médecin est malheureusement dépendant de ses horaires, j’en ai peur. De plus, je ne sors jamais avec mes patients. Question d’éthique, vous savez.” Sur le coup, il avait souri -le premier depuis longtemps-, amusé sans doute de ma répartie. Prêt à partir, il avait déclaré, d’une voix mieilleuse : “
Comme vous voulez, doc. Dans trois semaines, tout au plus, je ne serai plus votre patient. Vous n’aurez donc aucune excuse.”
Trois semaines s’écoulèrent et il revint, comme promis à la chasse. Entre temps, j’avais appris qu’il était le fils de la femme qui avait appuyé ma candidature à l’hôpital, Elisabeth, une amie à mama et à moi depuis. Le détail, insignifiant pour les autres, me troublait cependant. Je n’étais pas un modèle de vertus quand il s’agissait de mes relations amoureuses. Au contraire, depuis mes seize ans, j’avais enchaîné les histoires à moyen terme, parfois juste le temps d’un soir, juste ce qu’il fallait pour avoir un peu d’affection et décompresser de journées harassantes de travail. Puis, les ragots de couloir parlaient d’une fiancée avec qui il aurait rompu ses engagements en revenant du front. D’une part parce que la demoiselle n’avait pas su attendre et d’autre part, parce que nombreux racontaient qu’il avait profondément changé depuis qu’il était revenu au bercail. Thomas s’était présenté au dernier rendez-vous et, comme il l’avait prédis, il m’invita à nouveau. Bien que tenaillée par l’envie d’accepter, je déclinais encore une fois. Quelque chose s’alluma dans son regard, un sentiment que je ne sus interpréter mais qui déclencha de longs frissons le long de mon échine, alors qu’il quittait à nouveau mon bureau avec un sourire : “
Bonne soirée, doc.” Plus tard, ce soir-là, j’étais sortie avec les filles. C’était il y a une semaine et pourtant, j’ai l’impression que cela remonte à une éternité. Nous étions dans l’espace VIP, que Vicky avait réservé au préalable. La soirée était bonne, plutôt mouvementée mais pas du tout ennuyante. Alors que toutes s’étaient volatilisées sur la piste de danse, j’avais décliné maudissant mes talons qui me faisaient souffrir. Un homme s’était alors assis juste à côté de moi, un sourire narquois dessiné sur ses lèvres. Je reconnus Thomas sans peine bien que j’étais particulièrement étonnée de le trouver là. Quelque part dans mon esprit, je ne l’avais tout simplement pas imaginé comme un homme fréquentant les clubs. “
Je devrais m’estimer heureux. Il semblerait que je ne sois pas le seul à qui vous déclinez les invitations.” Je lui lançais un regard perplexe et il me désigna la piste où mes amies et collègues se déhanchaient, inconscientes de la présence du militaire. “
Ce n’est absolument pas personnel, vous savez…” commençais-je, aussitôt interrompue par son doigt qui se posa sur mes lèvres. Le sentiment qui en résultait, délicieux à souhait, me laissait pétrifiée. D’habitude, je menais le jeu de la séduction à merveille. Celui-là me coupait tout simplement l’herbe sous le pied. Avant même que je pus répliquer quoi que ce soit, ses lèvres s’emparèrent des miennes. Elles étaient incroyablement douces. Encore une fois, mon esprit avait imaginé quelque chose de plus brutal. J’étais remplie de préjugés pour une fille d’un ex-militaire, c’était navrant. Bien que je rêvais de prolonger l’instant, j’y mis fin, un sourire se dessinant sur mes lèvres. “
Je ne sais pas ce que j’ai fait pour te faire croire que j’étais disposée à…” Le vouvoiment s'était envolé, comme par magie. Il rigola, me coupa aussitôt. “
Tu m’as embrassé en retour, cela signifie que tu l’attendais, non?” Son ton était présomptueux et insolent. Si un autre m’avait fait ce genre de réflexions, je l’aurais aussitôt remballé. Pourtant, chez lui, je trouvais cela étrangement sexy. “
Je ne t’ai pas embrassé,” répondis-je pourtant du tac au tac. “
Si tu l’as fait,” conclut-il avec un sourire victorieux en se penchant à nouveau. Cette fois, je me laissais faire, guère désireuse d’arrêter l’instant.